Jacques-Emmanuel Remy

Publié le par France Républicaine

tribune Jacques-Emmanuel Remy, Le Monde, 02/05/2005

 

Le "camp du NON"

 

Le "camp du NON" n'est pas moins protéiforme que le texte qu'il combat:à constitution tentaculaire opposition touts azimuts.  Au chapitre social, le texte entérine le glissement de la notion de services publics à celle de services d'intérêt général (SIG); qu'est ce qu'un service d'intérêt général?  D'après les exemples américains ou les préconisations des organisations internationales, il s'agit d'une rétrogradation du service public universel vers le service palliatif et d'usage temporaire:les services d'intérêt général doivent permettre à ceux ne pouvant accéder aux services fournis par le secteur marchand y compris la santé, l'éducation, l'assurance maladie, le logement d'accéder à un service minimum.  Dans une optique de réduction des dépenses publiques et parce que, dans la philosophie libérale, le besoin pour un individu de recourir à un service aidé ne peut être que temporaire à l'échelle d'une vie intrinsèquement vouée à l'enrichissement – le nombre de bénéficiaires d'aide étant ontologiquement appelé à décroître – le SIG est un service au rabais chroniquement victime de sous financement et sous investissement, ce qui est même le cas des infrastructures et grands équipements aux Etats-Unis par exemple.  Le SIG de la constitution c'est le retour du tiers état.  

Au chapitre politique, l'organisation institutionnelle de l'Union européenne consacre une confiscation de la démocratie insupportable aux citoyens d'un continent qui l'a vu y être pensée et naître:au mieux nous avons un étrange système tacite de démocratie transitive:le suffrage national des citoyens européens élisant leurs représentants ou leur président aboutissant par on ne sait quel obscur chemin à la désignation d'une Commission, d'un Monsieur PESC, d'un "ministre" des affaires étrangères, d'un "président" de l'Union, etc. doués d'un pouvoir exorbitant en regard de leur irresponsabilité absolue en face de citoyens sur les vies et le futur desquels ils ont plus d'influences que les exécutifs et les parlements nationaux; au pire une forme de gouvernement impérial est en train de se mettre en place – mais un "empire intérieur", un "tyran domestique" car au plan international ni les Etats-Unis, ni la Chine, ni la Russie et ni l'OMC, ni les Nations unies, ni l'OTAN n'ont rencontré la puissance européenne.  Nous sommes, ici, à une croisée des chemins:soit toute instance décisionnelle supranationale est supprimée dans l'Union, le niveau hiérarchique maximal étant celui de chef de Direction générale et toutes les décisions et orientations sont prises par secteur au niveau intergouvernemental conjointement avec le parlement européen, soit un exécutif européen est élu au suffrage universel par l'ensemble des européens.  Le découplage du pouvoir et de la responsabilité, la déconnexion du pouvoir politique et de la sanction du suffrage consacrés par la constitution sont inacceptables et portent les germes d'une conclusion austro-hongroise:le retour de la question des nationalités dans moins de cinquante ans et l'éclatement de l'Union.  Les futurs Garibaldi, Bismarck, Paderewski, Kossuth, Alexandre Cuza, Benes, Jean de Bragance, Parnell et autres de Gaulle ou Jan Palac sont peut-être déjà nés.

Au chapitre de la défense et de la sécurité, la confiscation est encore mieux avérée:  perpétuellement en devenir, la puissance européenne s'ampute, par le maintien de la plupart de ses membres dans l'OTAN, du bras armé inhérent à tout pouvoir réel, le pouvoir des armes:elle se dénie l'élaboration libre de ses choix stratégiques et de sa politique de défense, le libre usage de ses forces; elle s'interdit l'émergence d'une industrie européenne de défense.  En refusant de se faire confiance pour sa propre sécurité, en délocalisant à Washington le centre de ses décisions de défense, l'Union européenne de la constitution choisit de s'arrêter au stade adolescent de la croissance d'une puissance.

Au chapitre de la source philosophique ayant inspiré la main des "conventionnels" – drôles de conventionnels, ceux de 1792 ou ceux de Philadelphie étaient élus, eux – ni la liberté, ni la fraternité, ni l'égalité, ni la paix, ni la quête du bonheur, mais la concurrence – noble origine et but exaltant pour nos enfants.  C'est selon ce dogme, dont  l'omniprésence a peut être à voir avec la forte empreinte génétique du plan Marshall dans l'ADN du Traité de Rome, que chaque décision, chaque choix, chaque mesure est, et sera constitutionnellement, imaginé, pris, jaugé.  Et l'autre carence n'est pas moindre:nulle mention, nulle part, des notions de loyauté entre états membre, d'allégeance unique à un projet et un but communs (bien moins par exemple que dans le traité de l'Atlantique nord): division, impuissance, là encore. 

Laissez le confort – les  services publics et la justice sociale fondés sur la redistribution et la solidarité y compris intergénérationnelle – pour la puissance, ou l'inverse, passe encore, mais perdre l'un et laisser filer l'autre – évaporée à Bruxelles, non.   

Et par quelle perversion un président peut-il menacer son peuple des conséquences de son éventuelle erreur, des conséquences de la victoire du NON?  Ce discours est pétainiste!  Le rôle de Chirac, comme celui d'Hollande, est autant de se battre pour ce à quoi il croit que de dire au français:  "si vous votez Non, je porterai votre Non à Bruxelles (et pas à Canossa!!)  et en serai le héraut comme ma charge et mon mandat me le dictent." et non pas à préparer Barroso et les pays du oui à traiter la France comme le "mouton noir".  Les hommes politiques responsables, au gouvernement comme au PS,  doivent préparer, même entre quatre murs, le message de la France à Bruxelles et aux autres états membres - un message où l'exigence démocratique devra prévaloir - en cas de victoire du Non
En votant non, les européens reprennent possession de leur(s) histoire(s), en votant oui comme le Baron Seillière et le comité de soutien germanopratin fomenté par Jack et Monique Lang, ils l'abandonnent au concile des puissants inconnus.

 

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