culture
supplément à L'Union - Journal des adhérents du SNAC-FO, mai 2005
De l'exception à la diversité culturelle
Les rencontres récentes de la Comédie Française et de Cannes à linitiative du Ministère de la Culture ont réuni artistes et institutions européennes pour vanter les mérites du projet de constitution qui défend la diversité culturelle. Ce terme, venu des travaux de lUNESCO, sil apparaît de prime abord séduisant, a dorénavant remplacé dans la plupart des discours celui dexception culturelle, défendue par le passé dans les négociations internationales. Le Président et le Gouvernement français ny voient aucune contradiction, les deux notions étant pour eux complémentaires.
Au delà du vocabulaire et des effets de manche électoraux, de quoi sagit-il en fait ?
Le projet de Constitution permettra-t-il aux Etats européens de poursuivre leurs politiques daides au secteur culturel et notamment au cinéma, à laudiovisuel et au multimédia, notamment dans le cadre des missions du Centre National de la Cinématographie en France ?
Rappelons que depuis1994, la stratégie de lexception culturelle avait permis dans le cadre du GATT et par la suite de lOMC dexclure le secteur des règles concurrentielles générales et de préserver les aides publiques dont il bénéficie. Cest la Commission européenne qui siège dans ces négociations et non les Etats. Le mandat donné aux commissaires par le Conseil Européen était jusque là accordé à la suite dun vote à lunanimité (donc avec possibilité du droit de veto dun seul état)
Le texte
Désormais, et si la Constitution était ratifiée, cest le vote à la majorité qualifiée (donc sans possibilité de veto) qui serait appliqué pour toute décision sauf si celle-ci porte atteinte à la diversité culturelle et linguistique (Art III 217.4.a). Les tenants du oui ne manquent pas de rappeler cette modification qui améliorerait le processus de décision concernant la politique culturelle intérieure. Ils sont par contre soigneusement muets sagissant des conséquences pour le commerce international, dont les enjeux sont pourtant beaucoup plus décisifs.
En réalité, le respect de la concurrence doit sappliquer là comme ailleurs et les dérogations devront être sollicitées et argumentées. Pascal Lamy, ancien commissaire européen promu à lOMC pour bons et loyaux services se félicite de cette évolution dans lExpress du 18.10.04 : Il y a renversement de la charge de la preuve , nous passons de lunanimité qui nous permet de tout bloquer à tout moment à la majorité, sauf dans le cas où lon peut démontrer lexistence dune menace à la diversité culturelle
Commentaire de Jacques Attali la semaine suivante dans les colonnes du même journal : Cela équivaut à espérer démontrer à un renard que la consommation des poules constitue une menace pour la diversité des espèces ! (LExpress du 25.10.04 Le cheval de Troie ) et de poursuivre : Cette rédaction du traité ouvre une brèche dans la protection de lidentité de lUnion . Elle introduit un cheval de Troie américain dans une constitution européenne et reviendrait à anéantir un demi-siècle de politique culturelle et audiovisuelle.
Cest un partisan du oui qui le dit et qui en appelle à la clarification!
Le contexte
Et il nest pas le seul à sinterroger sur les perspectives européennes et sur laction de la commission. Les représentants des 25 CNC européens expriment par exemple leur inquiétude dans leur appel commun de Cannes dans lequel ils soulignent lurgence de trouver avec la commission européenne une solution qui garantisse, à long terme (
) une meilleure reconnaissance du caractère à la fois industriel et culturel du cinéma, et une plus grande cohérence entre les politiques (
) afin de permettre le renforcement et lévolution à long terme des systèmes de soutien au cinéma. (AFP 16.05.05)
Rien nest donc garanti à terme de laveu même de ces institutions, pourtant tenues habituellement à une certaine réserve et qui ne masquent pas pour loccasion leur irritation et leur impatience.
Il est vrai que, Constitution ou pas, la commission de Bruxelles examine actuellement le renouvellement des notifications quelle a accordé jusquen 2007 aux Etats pour leurs interventions financières. Les exigences de la commission se durcissent et il faut plaider, argumenter, démontrer sans cesse, notamment le caractère strictement culturel des aides et ce, pour obtenir des notifications à la durée de plus en plus courte et à renégocier tous les quatre, trois, voire deux ans. Les conflits et les contentieux se multiplient autour du crédit dimpôt, de la taxe sur la vidéo Le tout évidemment sur fond de respect de la concurrence libre et non faussée.
Cest dans ce contexte que le Ministre de la Culture a décidé douvrir le compte de soutien aux productions extra-européennes après laffaire Warner-Un long dimanche de fiançailles.
Es-ce pour faire acte de bonne foi libérale, pour en finir publiquement avec un protectionnisme désormais honteux auprès de la commission ?
Toujours est il que pour de nombreux professionnels du cinéma dont le PDG dUGC, il est clair que cette ouverture ne peut quêtre funeste : La déstabilisation des financements aura des incidences sur lensemble des producteurs. Linflation des coûts entraînera léviction des plus grands comme des plus petits. On ne voit pas ce qui empêcherait les majors, par ailleurs détentrices de précieux catalogues de films, de négocier avec les télévisions françaises des participations plus importantes sur les films français quelles souhaitent financer, de prendre une part plus importante dans les enveloppes des financements encadrés et de laisser moins de moyens pour les autres films. (
) Le risque est de permettre aux Américains de détruire de lintérieur un système quils ne cessent de combattre de lextérieur . (Guy Verrecchia Les Américains détruiront de lintérieur notre système interview au Figaro du 26 avril 2005)
On le voit, lhabillage par la diversité culturelle des politiques nationales et européennes permet de nombreuses contorsions et surtout le reniement de fait de lencombrante exception culturelle du passé. Les conséquences de ce glissement navaient pas échappé à un grand producteur aujourdhui disparu: Il y a une escroquerie sur les termes. L exception heurte le principe de la généralisation de la liberté du commerce; la diversité en revanche est un concept très correct , très à la mode, et pour tout dire
très libéral. ( René Cleitman Tenir ferme sur lexception culturelle Bastille-République-Nation n°10 du 19 nov. 2001)
Lescroquerie sur les termes dénoncée par René Cleitman est malheureusement une pratique devenue courante chez les élites européennes et les tenants du oui .
Le débat ouvert par le référendum nous permettra, sur cette question comme sur dautres, de séparer le grain de livraie, dapprécier les enjeux et dexprimer notre volonté de marquer un coup darrêt à une dérive remettant en question des choix importants comme celui de la défense de notre industrie cinématographique et audiovisuelle ainsi que les missions régulatrices du Centre National de la Cinématographie.
François Lafaye