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Publié le par France Républicaine

tribune de Nicolas Dupont-Aignan, Le Figaro, 21/09/2004

 

Un NON fondateur

 

"Honte aux pays où l'on se tait", disait Georges Clemenceau. Le référendum sur le projet de Constitution européenne donne enfin aux Français l'occasion, si rare, de parler de l'essentiel : l'avenir de la France et de l'Europe dans un monde en plein bouleversement. A la condition cependant qu'on ne retombe pas dans les ornières de la caricature qui, malheureusement, imprègne trop souvent les débats sur l'Europe.

Tout responsable politique (Laurent Fabius en fait aujourd'hui l'expérience) qui ose s'interroger sur la pertinence des orientations européennes est immédiatement remisé dans la catégorie des réactionnaires passéistes.

Or, aujourd'hui la question n'est plus d'être pour ou contre l'Europe, mais de savoir laquelle nous voulons bâtir.

Dès lors, l'éternel chantage des promoteurs de traités clés en main – soit vous acceptez ce projet, soit c'est le chaos –, ne passe plus ! Comment, d'ailleurs, le rejet d'une Constitution dont on nous explique qu'elle ne changerait pas grand-chose, pourrait-il mener au chaos ?

Le chaos viendra plutôt de la passivité des dirigeants européens qui, à force de s'incliner devant des traités irréalistes, perdent tout moyen d'agir, nourrissant la défiance des peuples et le recul de l'idéal européen.

Pour ma part, j'ai arrêté définitivement ma position sur ce traité après m'être posé trois questions simples :

– Quel est le contenu du texte ?

– Sert-il les intérêts de la France et de l'Europe ?

– Y a-t-il une autre voie possible pour mieux concilier la liberté des Français et la construction de l'Europe ?

Qui a vraiment lu le projet de constitution ? Pour l'avoir fait, je souhaite que chaque Français se voie adresser un exemplaire complet. Toute personne de bonne foi découvrira alors combien ce texte n'est pas aussi anodin qu'on veut le faire croire. Quatre points en témoignent :

En intégrant dans le corps du texte la fameuse charte des droits fondamentaux (Art. 7), il donne un pouvoir exorbitant aux juges de la Cour de justice du Conseil européen qui deviendront de fait les législateurs de demain.

En donnant la personnalité juridique à l'Union (Art. 6), la primauté définitive du droit de l'Union sur les droits des États membres, il crée un véritable embryon d'État européen qui transformera, à terme, les nations d'aujourd'hui en simples provinces.

Derrière la création d'un président symbolique du Conseil européen élu par ses pairs pour deux ans et demi, le texte renforce en réalité les pouvoirs de la Commission qui devient un gouvernement de fait. Le Conseil européen sera dès lors affaibli à la fois face à une Commission surpuissante et en lui-même, puisque la règle de la majorité qualifiée (étendue dans plus de soixante domaines), empêchera la défense des intérêts nationaux.

Enfin, la Constitution n'encadre en rien la boulimie de compétences de l'Union. L'art. 13 concernant les compétences dites partagées entre l'Europe et les États est un modèle de l'hypocrisie bruxelloise ; je le cite : «Les États membres n'exercent ces compétences que si l'Union y renonce !» Quant aux procédures dites de contrôle de la subsidiarité ou de droit de pétition, elles sont purement factices car consultatives. Les Parlements nationaux ne pourront que protester et les citoyens pétitionneront en vain.

Faire croire aux Français que ce texte ne changera rien revient donc une fois de plus à leur mentir. Certains défenseurs de la Constitution avouent d'ailleurs son caractère fédéral.

Ce passage à l'Europe fédérale sert-il les intérêts de l'Europe en général et de la France en particulier ? Pour deux raisons majeures – le vide démocratique européen et l'impuissance collective que ce dernier consacre – en conscience, je ne le crois pas.

En premier lieu, après les traités de Maastricht, Amsterdam et Nice, ce texte videra un peu plus de leur substance les démocraties nationales.

Les peuples éliront des majorités gouvernementales qui ne pourront plus appliquer leur programme dès lors qu'elles seront mises en minorité à Bruxelles. En acceptant la loi de la majorité dans un ensemble à 25, comprenant même la Turquie qui disposera d'environ 20% des droits de vote, la France se condamne à être fréquemment mise en minorité. Elle défend en effet un modèle républicain que ses partenaires ne partagent pas, ni même ne comprennent.

Sur quantité de sujets qui tiennent à coeur aux Français (laïcité, services publics, aménagement du territoire, statut des professions libérales, exception culturelle, politique agricole, volontarisme industriel, politique étrangère,...) le réveil sera douloureux. Un réveil d'autant plus douloureux qu'aucune démocratie européenne digne de ce nom n'est capable de prendre le relais.

Même si un début de conscience européenne commence à émerger, en l'absence de partis politiques et de programmes cohérents transnationaux, la vie politique européenne reste largement évanescente, pour ne pas dire fictive. La preuve en est qu'au Parlement européen, après des confrontations électorales formelles dans chacun des pays, la droite et la gauche ont négocié la répartition des places.

On comprend mieux alors pourquoi la réalité du pouvoir appartient à des organismes non élus (Commission, BCE, CJE). Au-delà de ce vide démocratique, la Constitution est dangereuse, car elle inscrit dans son marbre les politiques mêmes qui ont échoué depuis une décennie et qui sont, bien légitimement, contestées par les citoyens.

Il en est ainsi de la lutte contre l'inflation qui continuera de passer avant l'urgente bataille en faveur de l'emploi ou de la politique de la concurrence dogmatique, qui interdirait aujourd'hui le lancement de projets comme Airbus ou Ariane.

Comment s'étonner alors de voir l'Europe perdre du terrain face aux États-Unis, à la Chine, à l'Inde, au Brésil, tous ces grands États qui ont bien compris que la mondialisation loin de tuer les nations les obligeait pour survivre à développer une stratégie de puissance forte de l'adhésion de leurs peuples ?

Y a-t-il une autre voie possible ? Oui, à la place de l'Europe fédérale bâtie sur le mythe d'un peuple européen unique (la formule apparaît noir sur blanc dans la Constitution) l'Europe confédérale du général de Gaulle qui part des réalités reste la voie de l'avenir.

Pour réussir dans le monde de compétition et de rapidité d'aujourd'hui, pour être fort dans la société des savoirs où rien ne peut se construire sans l'adhésion des hommes, il est contre-productif de vouloir bâtir un mastodonte étatique qui frustre les peuples en détruisant les citoyennetés nationales. Il faut au contraire s'appuyer sur elles pour mobiliser les nations autour de projets technologiques, scientifiques, environnementaux et culturels. C'est en croisant nos talents, en coopérant au gré de partenariats à géométrie variable que nous pourrons permettre l'émergence de l'indispensable Europe puissance.

Pour remettre sur les rails cette Europe qui peut et doit être le plus qu'attendent les peuples, il faut préparer un nouveau traité qui délimite raisonnablement l'Union et crée des partenariats avec son étranger immédiat (Turquie, Russie, bassin méditerranéen), qui refonde ses institutions en rendant une partie de leur pouvoir aux États et aux Parlements nationaux, qui rétablit une véritable préférence communautaire en matière commerciale et qui permet enfin le lancement de coopérations à géométrie variable, sous le contrôle des États qui y participent.

Le temps est donc venu pour la France, comme elle l'a toujours fait dans les grands moments de son histoire, de montrer le chemin par un «non» fondateur. Ce «non» qui, en 1965, avait permis à la France gaullienne d'obtenir la création de la PAC et à l'Europe d'avancer sur des bases solides.

En disant non à la Constitution, les Français défendront leur liberté mais aussi rendront service à l'Europe. Ils diront à un monde où l'homme tend de plus en plus à devenir une marchandise, qu'il existe un coin de terre où le mot «citoyenneté» a encore un sens, celui pour tout un chacun de peser sur son propre destin.

 

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