Verts

Publié le par France Républicaine

tribune de Francine Bavay (vice-présidente du conseil régional d'Ile-de-France), Martine Billard (députée), Alima Boumediene (sénatrice), Jacques Boutault (maire du IIe arrondissement de Paris), Didier-Claude Rod (ancien parlementaire européen) et Bernard Guibert (économiste), Libération, 12/10/2004

 

Les Verts sont un parti résolument européen. Ils viennent encore de le prouver en se prononçant pour l'adoption d'une Constitution européenne par un référendum, organisé le même jour dans les vingt-cinq pays.

Pas supplémentaire unissant des peuples autour de valeurs communes, une Constitution est un outil de cohésion. Sur un continent dont l'histoire est faite d'atrocités, de déchirures et de conflits, elle est le gage d'une paix durable. C'est sans ambiguïté que les écologistes y sont favorables.

Cependant, il ne s'agit pas aujourd'hui de se prononcer sur un principe général. Il nous revient d'émettre un avis sur un texte spécifique qui présente, certes, des avancées, mais qui recèle surtout d'importants et rédhibitoires défauts.

S'agissant d'un simple traité, il serait légitime de faire la balance entre éléments positifs et négatifs. Mais il s'agit d'un texte constitutionnel. Devons-nous accepter, au nom de notre volonté de construire l'intégration européenne, de voir inscrits, de façon intangible, des principes que nous combattons ?

Ainsi de la véritable obsession des rédacteurs d'imposer les normes de l'économie libérale, omniprésentes dans les parties I et III. Leur objectif : «constitutionnaliser» des orientations particulières de la politique économique, afin de les mettre à l'abri de toute remise en question.

Une Constitution doit définir un cadre institutionnel et laisser la possibilité de mener, à l'intérieur de ce cadre, les politiques choisies démocratiquement par les électeurs.

Exemples d'objectifs assignés par le projet ? «Offrir aux citoyens un marché unique où la concurrence est libre et non faussée». «OEuvrer pour une économie sociale de marché hautement compétitive». Organiser «une agriculture hautement compétitive» dont il faut «accroître la productivité». Les services publics sont remis en cause : l'article 56 interdit les aides publiques qui «faussent ou qui menacent de fausser la concurrence». Toute politique visant à imposer des mesures de protection de l'environnement pourra ainsi être refusée. Pis : Euratom, traité de promotion de l'énergie nucléaire au niveau européen, figure dans un protocole annexé. Que vient faire la promotion du nucléaire ? A quand un grand traité sur les énergies renouvelables ?

S'il faut «constitutionnaliser l'économie», pourquoi les notions de partage, d'entraide et de coopération ne sont-elles jamais mentionnées ? Pourquoi la promotion des services publics européens n'a-t-elle pas sa place ? Il irait pourtant dans le sens de l'intérêt des populations de grouper, par exemple, les services publics postaux des différents pays de l'Union, plutôt que de les mettre en concurrence. Dans le domaine des rémunérations, rien ne figure sur le salaire minimum européen, y compris, comme il avait été suggéré, «calculé en fonction du revenu moyen de chaque Etat membre». Pas un mot sur la protection sociale et la lutte contre les exclusions !

Quant à la fiscalité et au social, domaines fondamentaux pour approfondir la construction de l'Europe et lutter contre le dumping, source de délocalisations, ils continueront à relever de la décision à l'unanimité. Ainsi l'Europe ne sera plus systématiquement synonyme de mieux-disant social ou environnemental.

Au plan institutionnel, l'ampleur du déficit démocratique demeure. La confusion des pouvoirs entre la Commission, le Conseil et le Parlement, source d'opacité dans la prise de décision, n'est pas modifiée. Le Parlement n'a toujours pas de droit d'initiative en matière de lois. L'introduction du droit à pétition par un million de citoyens constitue une simple invitation à la Commission. Donc facultatif !

Tout cela ne serait pas tellement grave si la procédure de révision n'était pas clairement bloquante. Or, pour changer une virgule, il faudra l'unanimité dans les vingt-cinq pays de l'Union. Autant dire que nous voilà ficelés pour un bon moment.

Et, en attendant, l'indépendance de l'Europe n'est toujours pas assurée ! Alors que les Verts sont partisans d'une défense européenne commune, que nous propose le texte en matière de sécurité ? La soumission à l'Otan et un devoir de réarmement perpétuel (art. I-40 : «Les Etats membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires»).

Pendant la campagne européenne, les Verts avaient souhaité, unanimement, le retrait de la partie III, la modification de la clause de révision ainsi que des modifications dans la partie I. Or le texte adopté à Bruxelles le 18 juin par la CIG (Conférence intergouvernementale) et qui sera soumis à référendum, non seulement n'intègre pas d'avancées sur ces points, mais enregistre des reculs. On ne peut pas changer d'avis en catimini !

Seul argument audible en faveur du oui : ce texte est «moins pire» que le catastrophique traité de Nice. Mais ses avancées sont marginales et bien faibles au regard des écueils qu'il recèle. L'ambition européenne des Verts se nourrit de principes, plus généreux, plus humains.

Refusons de céder au chantage de la peur. En cas de rejet, l'Europe ne cessera pas d'exister. Au pire, nous reviendrions au traité de Nice qui, en toute hypothèse, convient à si peu de pays qu'il devra être et sera rapidement dépassé. Cela offrira l'occasion de lancer, sans attendre d'être bouclé dans la camisole de force de ce traité constitutionnel, le combat pour une autre Europe.

Ayons le courage de dire non. Positionnons-nous aux côtés de cette large partie de l'opinion publique à laquelle on a déjà fait «avaler» Maastricht en lui promettant des jours meilleurs et qui, depuis, n'a fait que constater les dégâts de «la concurrence libre et non faussée» et de la «haute compétitivité des entreprises» telles que ces notions figurent dans le texte.

Il s'agit de mener dès aujourd'hui le combat contre le «déficit démocratique» des institutions européennes et de leur gouvernance, pour que les peuples d'Europe récupèrent la maîtrise de leur communauté de destin. Le référendum offre l'occasion de mettre un frein aux forces économiques qui démantèlent les contrats sociaux nationaux, dégradent les richesses naturelles et culturelles, délocalisent et augmentent le chômage de masse, la précarité et la pauvreté.

Ne laissons pas les eurosceptiques seuls redonner espoir à ceux qui souffrent et qui n'ont pas leur place dans cette société hyperconcurrentielle, où la compétitivité économique est érigée en valeur absolue, où la finalité, l'objectif commun, se réduit à «consommer plus».

L'écologie promeut une société apaisée, désaliénée de la technologie, respectueuse de l'environnement, incompatible avec la loi du plus fort que prônent les partisans de l'économie libérale. Assurément, l'Europe que nous voulons n'est pas celle qui se dessine dans ce projet de Constitution.

C'est dès maintenant qu'il faut s'atteler à la construction d'une Europe qui protège ses citoyens, par-delà le grand marché, à partir de politiques fiscales, sociales et environnementales concertées. Pour une Europe démocratique, sociale et environnementale, les Verts veulent une autre Constitution. Ce qui implique le rejet de ce projet.

 

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