Laïcité
A Gauche, numéro 969, 10/11/2004
Laïcité : une mise au point nécessaire
A Gauche a récemment pointé les remises en cause de la laïcité qui découleraient de l'adoption du traité constitutionnel européen aujourd'hui en débat. Depuis lors, divers tenants du «oui» se sont empressés d'expliquer que la nouvelle constitution européenne ne changeait rien à la situation actuelle, prétendant qu'elle avait repris au mot près l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, sur la base duquel la Cour européenne des droits de l'homme a autorisé l'interdiction du port du voile dans le système éducatif turc. Si tel était le cas, nous serions les premiers à nous en réjouir. Mais il n'en est malheureusement rien.
D'abord parce que ces camarades «oublient» d'indiquer que le traité constitutionnel n'a pas repris le 2ème paragraphe de cet article 9, qui permet justement de limiter la liberté religieuse dans l'intérêt public (et qui a servi de base à la décision mentionnée sur la loi laïque en Turquie). Or l'article II-112 du traité constitutionnel ne permet ces limitations que pour des «objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union», objectifs dont ne fait pas partie la laïcité. Ensuite, parce que les décisions de la Cour de Justice de l'Union européenne, qui sera chargée de l'application de cette Constitution, ne sont pas liées par celles de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Le même article II-112 précise d'ailleurs que l'harmonisation des jurisprudences entre ces deux Cours ne doit «pas faire obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue de certaines libertés». Ce qui est précisément le cas en matière religieuse. La laïcité est en effet considérée comme une limitation de la liberté religieuse du fait de la combinaison de l'article II-70 avec les articles I-52 sur le rôle des églises et I-2 sur les droits des minorités, éventuellement religieuses. Le traité constitutionnel européen entérine donc bien une rupture avec la tradition européenne de la liberté absolue de conscience pour adopter au contraire la tradition anglo-américaine de la liberté de religion.