PCF - Brunhes

Publié le par Laurent Pelvey

révision constitutionnelle - 2e séance du mardi 25 janvier 2005, exception d'irrecevabilité

 

M. Jacques Brunhes - Ce texte, essentiel pour l'avenir de notre pays, marque une première étape dans le débat qui s'engage sur la ratification du projet de traité « établissant une Constitution européenne ». Dans les prochains mois, par leur vote, nos concitoyens jugeront le modèle de démocratie participative de l'Europe, en s'appuyant sur leur expérience, car le projet de traité ne fait que conforter les principes de l'Acte unique européen et du traité de Maastricht, en particulier celui d'une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Il en aggrave par ailleurs les logiques en confortant le pacte de stabilité européen et en accordant encore davantage de pouvoirs à des personnels politiques sans légitimité démocratique.

L'examen de ce texte est pour nous l'occasion de réaffirmer notre attachement aux valeurs fondatrices de notre République. Parce que le dogme libéral impose de sacrifier la souveraineté, les droits des peuples et la République à l'efficacité et à la bonne gouvernance, nous estimons que l'Europe n'est pas un espace démocratique. J'en veux pour preuve l'absence, dans le texte du projet de traité, de toute référence à la fraternité ou à la laïcité, alors qu'on y trouve 88 fois « marché », 29 fois « concurrence », 23 fois « capitaux », tous mots absents du texte de notre Constitution.

Certes, l'Assemblée a déjà été appelée à se prononcer sur un projet de loi constitutionnelle contraire au principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité de la souveraineté nationale, ou à celui de séparation des pouvoirs. Rappelez-vous le projet de loi « De l'Union européenne » présenté par le Gouvernement en 1992, en préalable à la ratification des accords de Maastricht, et la courageuse exception d'irrecevabilité défendue alors par Philippe Séguin, qui rappelait qu'il existe « au-dessus même de la charte constitutionnelle, des droits naturels, inaliénables et sacrés, ceux définis dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Aucune assemblée », ajoutait-il, « n'a compétence pour se dessaisir de son pouvoir législatif par une loi d'habilitation générale, dépourvue de toute condition précise quant à sa durée et à sa finalité. A fortiori, aucune assemblée ne peut déléguer un pouvoir qu'elle n'exerce qu'au nom du peuple ».

Le traité d'aujourd'hui prévoit de nouveaux transferts de compétences et le réaménagement des modalités d'exercice des compétences déjà transférées. Le Conseil constitutionnel a reconnu dans sa décision du 19 novembre 2004, comme il l'avait fait à l'occasion des traités précédents, que « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » sont affectées.

Dans la même décision, le Conseil observe en outre que les fameuses « clauses passerelles », en transformant la nature des procédures décisionnelles de l'Union dans des matières inhérentes à l'exercice de la souveraineté nationale, affecteront « les conditions essentielles de cet exercice, sans imposer, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale susceptible de faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution. »

Les nouvelles compétences transférées dans des domaines éminemment régaliens, le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée pour le vote en Conseil des ministres dans ces mêmes matières, l'intervention désormais décisionnelle du Parlement européen et la perte du pouvoir d'initiative de chaque Etat membre au profit de la seule Commission ou d'un groupe d'Etats membres sont autant d'innovations qui portent gravement atteinte, elles aussi, au principe de la souveraineté nationale.

Les pouvoirs nouveaux reconnus aux parlements nationaux de s'opposer à une « révision simplifiée » du traité ou de faire respecter le principe de subsidiarité sont trop limités pour offrir une quelconque garantie d'intervention démocratique.

Certes, notre Parlement sera mieux informé, puisque le protocole I du traité prévoit la transmission directe des documents de consultation, du programme législatif annuel de la Commission et de tout projet d'acte législatif européen. Mais l'information n'implique pas le contrôle parlementaire des négociations que le Gouvernement poursuivra dans le cadre de l'élaboration de ces actes législatifs.

S'agissant du respect du principe de subsidiarité, le Parlement pourra adresser au Parlement européen, au Conseil et à la Commission, avant l'adoption d'un projet d'acte législatif européen, un avis motivé de non-conformité. Ces avis ne pourront cependant conduire à un réexamen que dans des conditions particulièrement restrictives, puisqu'il faudra réunir un tiers de l'ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux. Du reste, après réexamen, le projet pourra être retiré, modifié ou maintenu en l'état, sans autre possibilité de recours qu'une action non suspensive devant la Cour de Justice.

Et certains prétendent que les droits des parlements nationaux seraient renforcés...

M. Nicolas Dupont-Aignan - C'est l'Ancien Régime !

M. Jacques Brunhes - Ils se contentent de peu. Les parlements nationaux conserveront un statut subalterne, puisqu'ils seront soumis, en dépit de leur légitimité démocratique, à l'arbitraire de la Commission et au gouvernement des juges, sans compter que la jurisprudence de la Cour de Justice, d'orientation libérale, encourage le renforcement des compétences communautaires.

Dans son livre Rappel au Règlement, dédié à Michel Debré, qu'il tient pour un « grand homme d'Etat » - et où il est souvent question de vous, Monsieur le Président - Pierre Mazeaud, actuel Président du Conseil constitutionnel, écrit...

M. Jean-Pierre Brard - C'est un homme de sagesse !

M. Jacques Brunhes - ...« Posons nous l'unique question : l'Europe se construit-elle sur des bases authentiquement démocratiques ? La réponse est non... La Commission de Bruxelles s'arroge tous les pouvoirs, décide de tout, tranche de tout, sans sanction possible, sans contre-pouvoir réel. C'est insupportable, inadmissible, inacceptable. »

Or, dans ses vœux au Président de la République, le 3 janvier, le même Pierre Mazeaud affirme : « Oui, nous devons faire confiance aux institutions européennes, y compris aux juridictions supranationales créées par les traités... Le droit communautaire est d'effet direct et prévaut, en cas de conflit, sur nos normes nationales, y compris, dans la généralité des cas, sur nos règles constitutionnelles ». Quel grand écart a dû faire le gaulliste Pierre Mazeaud pour en arriver, toujours dans ce discours du 3 janvier à l'Elysée, à dire que « la charte des droits fondamentaux de l'Union ne nous engage pas au-delà de ce que permet la Constitution française, pour peu qu'on en fasse la lecture naturelle et raisonnable qu'en fait notre décision du 19 novembre 2004.»

Monsieur le Président de la commission des lois, vous que le Président de la République a présenté dans les salons de Westminster, lors du centième anniversaire de l'Entente cordiale, comme « l'un des meilleurs juristes de France », je vous le demande : quelle est la valeur normative d'une « lecture naturelle et raisonnable », de surcroît précédée d'un privatif « pour peu qu'on en fasse »? Un juriste aussi brillant que M. Mazeaud a tout lieu de s'inquiéter : en droit, cette valeur est nulle !

M. Jacques Myard - Bien sûr !

M. Jacques Brunhes - N'écrivait-il pas d'ailleurs encore dans son livre : « Allons jusqu'au bout des aveux. Je prétends que le référendum sur Maastricht est non seulement sans valeur, mais bel et bien à refaire, tout simplement parce qu'il n'a absolument pas le moindre sens depuis que certains Etats ont modifié le traité que la France a ratifié... Il y aurait vice de consentement de la France si, le traité une fois entré en vigueur, les Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allaient au-delà de cette lecture naturelle et raisonnable. » Mais que peut-on attendre des Cours de Luxembourg et de Strasbourg, définitivement acquises au renforcement des compétences communautaires ?

De façon plus alarmante, l'avis du Conseil constitutionnel traduit une démission à l'égard des valeurs fondatrices de notre République.

M. Jacques Myard - Il a raison !

M. Jacques Brunhes - Ce recul est d'ailleurs perceptible dans la plupart des révisions constitutionnelles adoptées ces dernières années. Le Parlement s'est illustré par son impuissance à résister au renforcement du régime présidentiel, en se faisant complice d'une logique qui a gagné l'ensemble de la vie politique française. Nous l'avons vu récemment avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral.

Notre Parlement se trouve aujourd'hui condamné à regarder passer les trains. Comme l'observait M. Alain Duhamel dans une tribune du 4 janvier, « nous sommes dans ce qui commence à ressembler à une République consulaire. Jean-Pierre Raffarin se comporte comme un second consul, qui cherche à s'identifier le plus possible au Premier consul... Quant au Parlement, c'est comme sous Bonaparte : un corps législatif qui vote sans discuter ou un tribunat qui discute sans voter. »

La situation n'est pas vraiment nouvelle, elle tient largement au déséquilibre de nos institutions. Mais elle s'aggrave : les miettes de pouvoir consenties à notre Parlement, le plus souvent à l'occasion de la modification de son Règlement, ne sont que la maigre contrepartie de l'accroissement démesuré des prérogatives du pouvoir exécutif.

C'est encore le fait du Prince qui nous vaut la procédure retenue pour l'examen de ce texte. Le Gouvernement demande au Parlement de constitutionnaliser par avance un texte encore à l'état de projet, et qui sera bientôt soumis à référendum ! Il y a déni de démocratie puisqu'il est instrumentalisé pour mieux lier le vote de nos concitoyens. Votre rapporteur pour avis, M. Blum, n'a-t-il pas affirmé devant la commission des affaires étrangères - quel aveu ! - que la révision constitutionnelle était en quelque sorte le premier acte qui permettait d'aboutir à la ratification du traité... et non au référendum !

M. Jacques Myard - On va voter non, de toute façon !

M. Jacques Brunhes - On m'objectera que la décision de faire précéder la ratification du traité d'une révision de la Constitution procède de la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004. Mais qu'est-ce qui obligeait le Gouvernement à privilégier la voie de révision parlementaire ? Il y en avait d'autres ! M. Séguin l'expliquait déjà en 1992, dès lors qu'on se propose de faire ratifier par le peuple ce que le Parlement aura déjà décidé, on se livre à une manœuvre politique qui fausse délibérément le jeu démocratique.

Monsieur le Garde des Sceaux, cette révision constitutionnelle ne peut être dissociée de l'analyse du traité pour une constitution européenne, lequel se situe aux antipodes de notre vision d'une Europe citoyenne, démocratique et progressiste, acteur dynamique de la paix et de la sécurité internationale, porteuse d'une grande ambition pour un monde solidaire, fondé sur la coopération et sur le développement durable. De fait, il « constitutionnalise » le fonctionnement des institutions européennes et les orientations politiques, sociales et économiques qui résultent de l'acte unique européen et du traité de Maastricht, reprises quasi intégralement dans sa troisième partie. Or nous n'avons cessé de dénoncer ces textes parce qu'ils ont façonné le caractère technocratique et ultralibéral de la construction européenne, dont le principal résultat est la crise actuelle des institutions européennes et la désaffection des citoyens à leur endroit.

Souvenons nous des résultats des dernières élections européennes. Dans la plupart des pays, les abstentionnistes étaient majoritaires, et ils représentaient parfois près de 80 % du corps électoral ! Comment ne pas lier ce constat à la perception qu'ont les citoyens de l'Europe : au lieu des cinq millions de créations d'emplois annoncées au moment de Maastricht par M. Delors ou des trois millions prédits par M. Mitterrand...

M. Xavier de Roux - Cela n'engageait qu'eux !

M. Jacques Brunhes - ...voire des dix millions que promettaient les élus de droite favorables au traité, nous avons eu le chômage à 10 % de la population active, la progression de la précarité, les délocalisations et la stagnation du pouvoir d'achat.

M. Jacques Myard - Il n'a pas tort !

M. Jacques Brunhes - Tout cela résulte des politiques impulsées à Bruxelles avec la bénédiction de nos dirigeants : libéralisation totale des mouvements de capitaux, ouverture des services publics à la concurrence, marchandisation de l'ensemble des activités humaines et mise en place de critères de convergence visant à réduire les dépenses publiques. Et quelles sont les institutions responsables de ces politiques, décidées avec l'aval du Conseil européen et des Conseil des ministres : une Commission européenne non élue - Pierre Mazeaud eût dit : « des fonctionnaires ! » -, toute-puissante en matière de politique de la concurrence, une Banque centrale européenne indépendante du pouvoir politique et s'étant fixée pour seule mission de rendre crédible la zone euro aux yeux des marchés financiers, soit autant de centres de décision qui échappent à tout contrôle citoyen.

Le projet de traité constitutionnel tire-t-il des leçons de cette débâcle économique et sociale ou de l'angoisse des peuples ?

M. Nicolas Dupont-Aignan - Hélas, non !

M. Jacques Brunhes - Modifie-t-il les orientations et le fonctionnement des institutions européennes ? Bien sûr que non ! Je rappelle que la convention Giscard d'Estaing pouvait discuter de tout... hormis l'« acquis communautaire » en matière de fonctionnement institutionnel et de politique économique et sociale ! Les 340 articles que comporte le titre III, qui reprennent intégralement cet « acquis » et représentent près des trois-quarts du projet de Constitution, n'ont donc fait l'objet d'aucune discussion au sein de la convention durant ses seize mois de travaux. Ils ont été ajoutés après coup et en catimini.

Certes, la convention a introduit dans le corps du projet de traité quelques dispositions importantes, telles celles ayant trait à la protection des droits fondamentaux. Mais la portée de ces innovations demeure limitée, et il peut arriver qu'elles tendent à accélérer la marche de l'UE dans la voie du néo-libéralisme.

En effet, que nous propose-t-on sur le plan politique ? Comment faire abstraction de l'intitulé du texte ? « Traité établissant une Constitution pour l'Europe », telle est l'expression inventée par la convention. Tout le monde emploie donc le terme de « Constitution européenne », mais les autorités politiques précisent qu'il ne saurait être question de comparer cet instrument à nos constitutions nationales. Seuls les Etats ont une constitution, et pour qu'il y ait constitution, il faut un pouvoir constituant souverain, lequel, en démocratie, ne peut être que le peuple.

Or, la convention qui a présidé à la rédaction de ce texte n'était pas élue et l'UE n'est pas - encore - une fédération. Le terme ne figure d'ailleurs pas dans le traité, et le texte du projet présente les caractéristiques formelles d'un traité international, tant du point de vue du droit interne que du droit international public. Alors, pourquoi avoir retenu le terme de constitution ? C'est que le contenu du traité laisse supposer que, du fait même de son entrée en vigueur, ce texte subirait une forme de transmutation, dont la personnalité juridique conférée à l'Union serait la principale cause. Le président Clément l'a admis tout à l'heure, et, dans sa communication du 22 mai 2002, la Commission européenne reconnaît que cette Constitution aura pour « l'Union la même valeur qu'une constitution pour un Etat membre». Le devenir de l'UE est donc à envisager dans un cadre fédéral. L'extension de la règle de la majorité qualifiée à une vingtaine de domaines supplémentaires - et le fait qu'elle soit censée devenir, en 2009, la règle de droit commun au Conseil des ministres - conforte cette lecture.

Cependant, pour le bon fonctionnement des règles libérales du traité, pour le social et la fiscalité, la règle de l'unanimité est maintenue.

M. Alain Bocquet - Bien sûr !

M. Jacques Brunhes - Les questions relatives à l'impôt sur les sociétés, ainsi qu'à la fraude et à l'évasion fiscales continueront par conséquent de relever de l'unanimité. Ainsi, fédéralisme ou pas, ce qui l'emporte, c'est la sauvegarde coûte que coûte des principes libéraux de la construction européenne. Règle majoritaire ou unanimité sont fonction de la préférence idéologique des rédacteurs du traité pour le dogme libéral. Le politique est ainsi subordonné à l'économie, au détriment de la démocratie. Ce n'est du reste pas un hasard si a été « effacée » du préambule la citation de Thucydide que les travaux de la Convention avait naguère mise en exergue : « Notre Constitution est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité, mais du plus grand nombre »...

M. Jacques Myard - Cela ne plaisait pas à Bruxelles !

M. Jacques Brunhes - Et c'est bien ce que consacre le traité. En effet, quelle démocratisation institutionnelle nous propose-t-il ? Certes, il introduit l'extension du champ de la codécision entre le Parlement européen et le Conseil des ministres. Cependant, la Commission, dont les membres sont nommés, conserve son quasi-monopole de l'initiative, et le Parlement reste écarté des décisions sur les recettes de l'Union et sur la majeure partie de l'allocation de ses dépenses. Il est en outre stipulé que son action se situe dans le cadre des orientations fondamentales de la Constitution. Le Parlement est donc placé dans l'incapacité de promouvoir une politique alternative. L'article III-157 le charge notamment de « s'efforcer de réaliser l'objectif de libre circulation des capitaux dans la plus large mesure possible ». Dès lors, à quoi lui serviraient les nouvelles attributions qui lui sont par ailleurs conférées pour lutter contre les délocalisations ?

S'il est prévu de rendre les réunions du Conseil des ministres plus transparentes, puisqu'il siège en public lorsqu'il délibère et vote sur un projet d'acte législatif, tel ne sera pas le cas pour ses activités non législatives. Quant au Conseil européen, c'est dans le secret de «la diplomatie des couloirs» qu'il continuera d'agir. Cela est d'autant plus grave qu'à de rares exceptions près, les parlements nationaux ne sont pas associés en amont aux négociations, et qu'ils ne peuvent pas davantage donner un mandat impératif aux exécutifs nationaux pour ces pourparlers. Les nouvelles prérogatives des parlements nationaux ne leur donneront pas conséquent aucune prise sur la construction européenne.

Quant à la Commission, elle disposera toujours de pouvoirs exorbitants en matière de proposition de directives. La politique de concurrence - essentielle - reste de sa compétence exclusive. Les négociations commerciales internationales relèvent de sa responsabilité, en vertu d'un mandat du Conseil très lâche. Bref, l'essentiel de ses pouvoirs demeurent hors de contrôle.

La Cour de justice de Luxembourg garde le monopole de l'interprétation des traités et de l'ensemble du droit communautaire, lequel prévaut explicitement sur le droit interne. Les conséquences ne sont pas minces, sachant que l'intégralité de sa jurisprudence traduit sa dilection pour toujours plus d'intégration.

La Banque Centrale européenne demeure un véritable « monstre juridique».

M. Jacques Myard - Exact !

M. Jacques Brunhes - Son indépendance est totale. L'article III-188 stipule qu'aucune institution publique n'a le droit de lui donner d'instruction. Or, elle ne répond qu'aux exigences des marchés financiers et défend, par principe, une politique monétariste. En son temps, alors qu'un million de manifestants lui adressaient dans la rue une véritable motion de censure, j'avais eu l'occasion de dire à M. Juppé que toute politique monétariste aboutit au même résultat : la fragilisation des plus faibles et la paupérisation de l'ensemble de la société. L'application des recettes monétaristes d'austérité sélective n'a qu'un seul objectif : faire payer les pauvres car ils sont plus nombreux !

Le projet de Constitution confirme, s'il en était besoin, que l'objectif principal de la BCE reste la stabilité des prix, bien avant l'emploi et la croissance. L'Europe se montre ainsi plus libérale et monétariste que la Banque centrale américaine ! Elle se présente comme l'institution financière la plus libérale du monde, dans ses missions comme dans son fonctionnement.

Dans cette architecture institutionnelle, les citoyens restent exclus des centres de décision. Le déficit démocratique qui les a tant éloignés de la construction européenne est loin d'être épongé, et le risque est grand que l'Union continue de « se construire en cercles fermés plutôt qu'au grand jour », comme le reconnaissait la Commission européenne elle-même. On me rétorquera : quid de la grande avancée de la démocratie participative que représente le droit de pétition en vertu duquel « des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'Etats membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution » ? Voilà une innovation positive. Observons tout de même qu'en parlant de « citoyens », elle exclut les simples résidents, c'est-à-dire les immigrés établis parfois de longue date dans les pays de l'UE, qui y travaillent, paient des impôts et subissent tout autant que les nationaux les conséquences néfastes des politiques européennes.

Remarquons surtout que la pétition ne fait « qu'inviter » la Commission européenne à soumettre une proposition, et que l'initiative pétitionnaire ne sera prise en considération que si elle ambitionne de mettre en application des dispositions contenues dans le traité !

C'est là que nous mesurons le caractère antidémocratique et profondément rétrograde de cette Constitution. Une Constitution est l'expression d'une certaine conception du pouvoir politique qui trouve sa légitimité dans des principes fondateurs. Elle définit les normes, les valeurs, les droits fondamentaux et organise les pouvoirs. Or, ce traité, véritable pavé de 448 articles, auxquels il faut ajouter 603 pages de déclarations, protocoles et autres annexes, va bien au-delà de ce qui peut être qualifié de Constitution. Il grave dans le marbre le choix idéologique du libéralisme et annonce ainsi la mise à mort de ce qui était naguère le modèle social européen, fondé sur des droits collectifs, des biens communs, une protection sociale, l'intérêt général, des services publics, un code de travail...

L'article 1-3, énonce que l'Union offre à ses citoyens un marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée », et que le développement de l'Europe est fondé sur une économie de marché « hautement compétitive ». Certes, cette économie de marché hautement compétitive est qualifiée de « sociale », mais c'est l'unique fois et cette pétition de principe ne pèse pas bien lourd face aux références répétées au principe de la libre concurrence et au dogme de la libre circulation des capitaux.

Toute mesure d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements des capitaux et de lutte contre l'évasion fiscale est subordonnée, je le rappelle, à un vote à l'unanimité. Toute évolution future dans ces domaines et toute politique alternative sont ainsi interdites. Il faut donc s'attendre à une accélération des délocalisations vers les zones de bas salaires, à une intensification du dumping social et fiscal. L'harmonisation par le haut devient impossible.

Pourtant, les conséquences de la politique actuelle sont désastreuses et s'aggravent chaque jour : chômage galopant, précarité, flexibilité, 55 millions de pauvres dans les quinze anciens pays membres de l'Union, sans parler des dix nouveaux.

Sans doute les partisans du projet de Constitution se féliciteront-ils que la charte des droits fondamentaux soit pour la première fois intégrée dans le texte même d'un traité communautaire. Ils oublient cependant de préciser que cette charte est un recul, notamment par rapport aux acquis de la déclaration universelle des droits de l'homme, proclamée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté le 16 décembre 1966 et ratifié par tous les membres de l'Union.

La charte reconnaît par exemple « le droit de travailler » mais plus « le droit au travail » et elle ne reprend pas d'autres droits, acquis de haute lutte dans maints pays européens, tels que le droit à un revenu minimum, à une pension de retraite, aux allocations de chômage, à un logement convenable... S'agissant des droits à la sécurité, à l'aide sociale et à la santé, la charte se borne à un renvoi aux « règles établies par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales ». L'Union ne les renforcera pas ni ne les imposera là où ils sont insuffisants voire inexistants ; et le démantèlement de ces systèmes là où ils existent, comme en France, est un bon indicateur des tendances lourdes à l'œuvre. J'ajoute que l'annexe explicative élaborée en vue de guider l'interprétation de la charte vient encore réduire la portée de celle-ci.

L'article III-314 dit que l'Union contribue à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux, aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres. La référence aux « investissements étrangers directs » et « barrières autres » est un ajout à l'article 131 du traité de Rome qui témoigne de la dérive ultralibérale de la construction européenne et de la soumission aux exigences du patronat. Alors que l'accord multilatéral sur les investissements avait pu être rejeté grâce à la mobilisation des forces progressistes, l'une de ses dispositions clés - celle sur les investissements directs - est subrepticement introduite dans le texte constitutionnel ! Et l'on voit bien que la chasse sera faite à toute clause sociale, environnementale ou technique qui serait susceptible d'entraver la mondialisation ultralibérale.

L'article suivant traite des « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle », préoccupation prioritaire des milieux patronaux, qui ont mené un combat rétrograde sur la question des brevets des produits pharmaceutiques en Afrique du sud. Combat d'autant plus honteux qu'il mettait en cause la vie de millions de malades du sida. Aujourd'hui, le dossier se focalise sur les brevets relatifs aux micro-organismes et aux nouvelles variétés de plantes, en lien avec l'avenir de l'industrie agricole et agroalimentaire, ainsi que sur le brevetage du vivant et la question des OGM. Les politiques menées dans ces domaines ne peuvent que susciter la crainte.

Par ailleurs, le traité ne connaît ni les « services publics » ni les « services d'intérêt général ». Il ne parle que des services d'intérêt économique général - les SIEG. Le traité confie à la loi européenne le soin d'en fixer les principes et les conditions de fonctionnement des SIEG, tout en spécifiant bien que les entreprises chargées de la gestion de ces services sont « soumises aux règles de concurrence ». Non seulement l'aide de l'Etat à une telle entreprise nécessite une dérogation, mais la Commission et tout Etat membre peuvent saisir directement la Cour de justice s'ils estiment que l'usage des dérogations est abusif au regard des règles de concurrence. L'article 111-238 prévoit même le remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public.

Cet encadrement juridique et la propension de la Commission à démanteler les services publics ne peuvent que nous laisser craindre que le traité ne légalise les mécanismes pour les détruire. D'ores et déjà, la vaste entreprise de démantèlement des services publics est en marche accélérée en France. S'abritant derrière les directives européennes, le Gouvernement a « cassé» EDF-GDF l'année passée et la Poste la semaine dernière...

Voilà donc gravé « dans le marbre » de la Constitution le visage ultralibéral de l'actuelle construction européenne. Un visage ultralibéral dont les traits les plus caractéristiques se reflètent dans le fameux projet de directive Bolkestein sur la libre circulation des services au sein de l'Union européenne. La Commission n'a pas attendu la ratification de la Constitution pour ouvrir les négociations en vue de son adoption ! Rappelons que ce projet de directive considère tous les services comme des services économiques concurrentiels, au même titre que les marchandises, et limite sévèrement la capacité des Etats à réglementer ou à contrôler les activités de service sur leur territoire. Surtout, il pose le principe selon lequel le prestataire est soumis uniquement à la loi du pays dans lequel il est établi.

Si ce projet de directive était adopté, il entraînerait inéluctablement le démantèlement des systèmes légaux de protection sociale et de santé au profit de systèmes privés. Il signifierait la dérégulation de nos systèmes éducatifs et la fin de toute forme de diversité culturelle. Le principe du pays d'origine entraînerait la délocalisation des salariés et une mise en concurrence généralisée des peuples. L'effet sur le fonctionnement du marché du travail serait tout aussi désastreux. Les Etats se verraient interdire toute mesure vis-à-vis des travailleurs détachés, ce qui rendrait impossible le contrôle de leurs conditions de travail. Des conventions collectives et des accords sectoriels pourraient être considérés comme des barrières à la libre circulation et donc supprimés.

M. Jacques Desallangre - Pauvres enfants !

M. Jacques Brunhes - La Constitution européenne met d'autre part fin au mythe d'une Europe-puissance capable d'offrir un contrepoids à l'hyper-puissance américaine, notamment par le biais d'une défense européenne autonome. L'article 1-41 impose en effet à une éventuelle politique de défense commune de l'Union de respecter les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord et exclut tout engagement de défense mutuelle entre Etats membres dans la mesure où il ferait double emploi avec le traité de l'OTAN ! Cet article précise ainsi, dans son paragraphe 7, que l'OTAN reste pour ses Etats membres « le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre ». Le ministère des affaires étrangères britannique ne s'y trompe pas lorsqu'il souligne, en s'en félicitant, que « c'est la première fois qu'un traité de l'Union européenne dit les choses aussi clairement ». Comprenez : cette subordination à l'OTAN.

Cette Europe devenue un relais efficace de la mondialisation libérale et inféodée militairement et diplomatiquement aux Etats Unis, nous ne pouvons l'accepter, non seulement en raison de son impact social et économique si négatif, mais aussi parce qu'elle porte en germe le risque d'une réaction de repli nationaliste xénophobe. Dans tous les pays membres de l'Union, les mouvements fascisants et racistes, relèvent la tête. Ils trouvent dans l'exclusion et l'extrême pauvreté le terrain rêvé pour propager leurs idées. Cette Europe-là porte aussi en germe les dangers de nouveaux conflits entre les peuples européens mis en concurrence par la sauvagerie d'un « marché hautement compétitif » sans le filet des droits sociaux. Ces dangers risquent de détruire l'idée européenne elle-même, d'autant qu'on peut craindre l'accroissement de la crise de confiance entre les citoyens et les institutions européennes.

Voilà ce qui motive notre refus d'un projet de traité européen qui ne pourra être amendé qu'à l'unanimité des Etats membres : autant dire que la clause de révision prévue dans le traité ne pourra être utilisée. Les peuples européens devront donc subir cette Europe à visage ultralibéral pendant de longues années ; si on en croit Valéry Giscard d'Estaing, le traité serait « bétonné » pour quarante ou cinquante ans. C'est donc maintenant qu'il faut s'opposer à cette éventualité en disant non au projet de traité.

Irions-nous vers le chaos si le non l'emportait ? C'est l'épouvantail qu'agitent les partisans du oui. Il importe de tordre le coup à cette idée : en cas d'échec de la ratification dans un ou plusieurs pays d'Europe, l'Union ne cessera pas pour autant de fonctionner. Elle sera régie selon le traité actuellement en vigueur. Rappelons que, selon le projet de constitution lui-même, une grande partie des dispositions du traité de Nice sera maintenue jusqu'en 2006 et même jusqu'en 2009 pour certaines. Nous aurons donc le temps de remettre l'ouvrage sur le métier. Nous devons sortir du carcan des traités d'Amsterdam, de Nice et de Lisbonne, mais nous voulons le faire par le haut et non par le bas. Il n'y aura pas de vide juridique.

Que prévoit le traité constitutionnel à ce sujet ? L'article IV-447 n'évoque pas le cas où un ou plusieurs Etats refuseraient de le ratifier. En revanche une déclaration annexe prévoit qu'en cas de blocage, si les quatre cinquièmes des Etats membres ont déjà procédé à la ratification, « le Conseil européen se saisit de la question ». Il est invraisemblable, pour ne pas dire impossible, qu'il décide d'appliquer la Constitution seulement dans les Etats qui auront décidé la ratification, et d'en exclure les autres, surtout s'il s'agit de pays majeurs comme le nôtre ou le Royaume-Uni, qui voteront par référenduM. Il est par contre plus que probable, et c'est en tout cas le message qu'auront envoyé les peuples des pays concernés, que la copie soit revue, dans le cadre d'une nouvelle convention, ou - ce que nous préférerions - dans celui d'une nouvelle conférence intergouvernementale, et dans un cadre où les peuples seraient consultés.

On est très loin de l'hypothèse du chaos. Permettez-moi de vous rappeler un exemple emprunté à notre histoire. En 1945, le peuple français a refusé par référendum la constitution qui lui était proposée. La France n'a pas sombré dans le chaos : l'Assemblée s'est remise au travail, et huit mois plus tard, par un nouveau référendum, le peuple approuvait un texte différent. Le signal que nos peuples enverront en disant non, ce sera le rejet du modèle européen actuel et la nécessité d'alternatives pour une autre construction européenne qui emporterait l'adhésion et sortirait l'Union de son impasse actuelle. Le non, dans cette optique, ne sera ni le chaos, ni le statu quo ; il créera les conditions d'une dynamique pour l'émergence d'un nouveau projet européen.

Cette perspective est d'autant plus urgente que nous avons besoin d'Europe dans notre monde globalisé. Avec la mondialisation, un pays ne peut plus, à lui seul, relever les défis dans un certain nombre de domaines, où le niveau pertinent d'action est le niveau européen. C'est le cas lorsqu'il s'agit de maîtriser les marchés financiers, de prévenir les risques écologiques, ou de mobiliser les ressources pour la recherche à l'heure de l'explosion des nouvelles technologies, pour ne citer que ces exemples. Encore faudrait-il que l'Union européenne s'en donne les moyens, c'est-à-dire les orientations et les structures nécessaires pour cela.

Notre ambition pour l'Europe est triple : c'est une ambition démocratique, une ambition sociale et écologique, une ambition européenne pour un monde de paix. Les intervenants de mon groupe traiteront dans la discussion générale de notre choix d'une autre Europe. Permettez-moi cependant d'en esquisser les grandes lignes.

L'Europe démocratique devra résoudre un problème inédit : comment étendre à cet espace en construction l'exercice de la citoyenneté, dont le cadre naturel est encore aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, l'Etat nation ? Cette question est au cœur du débat institutionnel sur les équilibres des pouvoirs, entre nation et Union, exécutif et législatif. A nos yeux, dans un ensemble commun où existent des lieux de décision politique nouveaux, les citoyens devront avoir la maîtrise des décisions qui les concernent aux deux niveaux, national et européen.

Je ne peux entrer dans les modalités concrètes de cette participation citoyenne à l'élaboration des politiques européennes comme à l'évaluation de leurs effets. Quelques pistes illustreront cependant mon propos. Il me semble tout d'abord que les parlements nationaux, plus proches des citoyens, sont les mieux placés pour jouer ce rôle, et leur intervention sur les enjeux européens est indispensable. Le rôle de contrôle du Parlement européen devrait d'autre part être renforcé dans les domaines qui relèvent de la compétence de l'Union. L'Europe démocratique implique bien évidemment le remodelage des pouvoirs de toutes les instances non élues, comme la Banque centrale et la Commission. Enfin il faudra s'assurer que toutes les réformes institutionnelles ne se fassent plus « par en haut », mais supposent, à chaque étape majeure, la consultation populaire et le débat démocratique.

L'Europe sociale devra concevoir et mettre en œuvre un modèle fondé sur un système de sécurité d'emploi et de formation, une réelle charte des droits sociaux, une stratégie de développement durable s'appuyant sur un puissant secteur public rénové et démocratisé, une sorte de colonne vertébrale de ce projet européen. Concrètement, il s'agit de rompre avec l'engrenage de la baisse du coût du travail, d'harmoniser vers le haut les législations sociales, avec l'application effective du principe de non-régression, d'assurer l'égalité des droits entre femmes et hommes ainsi que l'égalité d'accès à des biens et des services publics dignes de notre époque.

Cela n'est évidemment pas possible sans rupture avec la logique financière qui est au cœur de cette Europe libérale ; avec le pacte de stabilité dont la conception restrictive en matière d'investissements et des dépenses publiques engrange une logique récessive ; avec la politique monétaire de la BCE fondée exclusivement sur le contrôle des prix, au détriment de la croissance et de l'emploi. Cela n'est pas possible sans faire du service et du secteur publics, soumis à un contrôle démocratique de leurs orientations et de leurs stratégies, un des piliers du modèle social européen. Enfin, cela n'est pas possible sans mettre au cœur de ce modèle les besoins humains, sans faire de l'être humain une fin et de l'économie un moyen.

Ce projet de développement devra prendre en compte l'urgence écologique, avec une mise en œuvre active du protocole de Kyoto et des efforts pour son application à l'échelle internationale. D'une manière générale, l'Europe écologique devra s'opposer à la destruction programmée de la nature, consubstantielle au libéralisme triomphant.

Sur la scène mondiale, l'Europe devra assumer une responsabilité toute particulière : celle d'une autre vision des relations internationales, tant économiques que politiques et de sécurité. Dans tous ces domaines, nous devons agir comme un contrepoids, comme une force alternative aux Etats-Unis, proposant une autre stratégie que celle de la globalisation ultra-libérale, de l'unilatéralisme et de guerre préventive véhiculée par l'hégémonie américaine. Nous proposons une vision large de la sécurité, prenant en compte ses dimensions non militaires.

Il nous faut une politique multidimensionnelle incluant une action en faveur du développement et de la réduction des inégalités entre les Etats et en leur sein, qui sont en grande partie la source du nouveau désordre mondial. Il est clair que le discours sécuritaire sur le terrorisme trouve ses limites et sa propre contradiction dans l'absence d'une politique de développement conséquente. Les propositions ne manquent pas dans ce domaine : annulation de la dette des pays pauvres, augmentation de l'aide et réforme de son financement, notamment par la démocratisation des institutions financières internationales et la réforme radicale de leurs politiques, ainsi que par la constitution d'un fonds international pour le développement, sur les modalités duquel le débat a été ouvert par deux rapports soumis à l'ONU. L'Europe devra être à la pointe du combat sur tous ces fronts, sans oublier sa responsabilité particulière pour le financement de coopérations dans la zone méditerranéenne, qui lui est consubstantielle. Elle doit de même souligner la nécessité d'une approche multilatérale dans le domaine de la sécurité, ce qui implique le renforcement d'une ONU réformée, placée au cœur des relations internationales, aussi bien pour la solution des conflits que pour les questions économiques afférentes au développement.

Pour la dimension purement militaire, l'Europe devra évidemment se donner des moyens communs pour sa sécurité, ou pour contribuer à la sécurité internationale, mais dans des conditions très précises, dans le cadre de missions de l'ONU ou d'une OSCE rénovée, organisation régionale de cette dernière. Et avec une démarche totalement novatrice, qui vise à assurer la paix par la prévention de la guerre et non par la guerre préventive, chère à l'administration Bush. Ce qui pose évidemment la question de la pérennité de l'OTAN, héritée de la guerre froide, et qui sert toujours, alors même que la période actuelle ne le justifie aucunement, à maintenir la domination américaine sur notre rive de l'Atlantique. Il y a pour nous une contradiction insurmontable dans la proposition de faire de l'OTAN une partie constitutive de l'identité de l'Europe.

Tel est notre grand dessein pour l'Europe, porteur de sens et donc susceptible d'une adhésion populaire qui seule peut rendre légitime cette grande et belle aventure européenne. La question n'est plus d'être pour ou contre l'Europe : c'est celle du choix d'orientation et de finalité de la construction européenne. Et cette question est capitale car, sans rupture avec la logique ultralibérale actuelle, nous risquons de pousser nombre d'anti-libéraux - dont le nombre ne cesse de croître, comme en témoigne la force du mouvement altermondialiste - à se détourner de l'idée européenne. Le non au projet de traité et sa renégociation reviennent selon nous à préserver l'avenir de l'Union, à éviter qu'elle ne s'écroule sous les coups de boutoir de replis populistes ou ultranationalistes, faute d'un ancrage populaire.

Tous ces arguments, mes chers collègues, devraient vous inviter à vous engager dans le premier acte de la campagne référendaire, pour le non à la Constitution Giscard-Chirac-Sarkozy-Medef, pour le non populaire, progressiste et démocratique, en votant cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Sur l'exception d'irrecevabilité, le groupe communiste et républicain demande un scrutin public.

 

votants : 121

suffrages exprimés : 116

pour : 24

contre : 92

 

Publié dans Actualité

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