MRC - Sarre

Publié le par France Républicaine

tribune Georges Sarre, Le Figaro, 18/04/2005

 

Europe moderne, Europe souple

 

En cas de rejet du projet de Constitution, les principales dispositions institutionnelles du traité de Nice que Jacques Chirac avait qualifié de «meilleur texte signé depuis le marché commun» resteront en vigueur jusqu'en 2009, et pour certaines jusqu'en 2014 : il n'y aura donc nulle crise juridique, et nous aurons au moins quatre années pour renégocier un bon traité. Une chance inespérée sera ainsi offerte à la France et à l'Europe de se hisser à la hauteur des enjeux d'aujourd'hui, et d'inventer une Europe moderne.
Le texte de Constitution soumis au référendum le 29 mai sent la poussière d'antan. Il répond aux objectifs obsolètes d'une époque révolue, qui connaissait trois priorités : la reconstruction, la lutte contre le communisme, la paix. La France et l'Europe contemporaine sont confrontées à d'autres défis.
– L'obsession de la lutte contre l'inflation, reprise dans le traité (art. 130) date des tensions de la reconstruction. Aujourd'hui, c'est le défi de la croissance et du plein-emploi qui se pose à nous.
– L'arrimage à l'Otan date de la puissance soviétique. Aujourd'hui, Moscou «la rouge» n'existe plus, et les principales menaces qui pèsent sur la paix dans le monde sont l'hyperpuissance des Etats-Unis et l'instabilité de l'est du continent européen. Notre intérêt est la stabilité de la grande nation russe et de sa profondeur stratégique. La priorité est de négocier avec la Russie des modalités d'association. Pour cela, nous avons besoin d'une Europe de nations libres et indépendantes. Au contraire, l'intégration constitutionnelle dans l'Otan (prévue dans l'article 1-41, notamment, de cette Constitution) signifie une soumission de la France et de l'Europe aux Etats-Unis. Le combat diplomatique que la France a mené contre la guerre en Irak doit rester possible. Cette crise a montré l'utilité géopolitique d'un triangle Berlin-Moscou-Paris.
– Aujourd'hui, la France et l'Europe sont confrontées à la gangrène des communautarismes et des identitarismes. La laïcité – séparation de l'espace public et de la sphère privée – et la cohésion nationale restent les meilleurs remparts contre de telles dérives. Or le projet de Constitution prévoit le droit de manifester sa religion collectivement en public : la loi interdisant le voile à l'école serait annulée par quelque juridiction européenne.
Le projet européen que nous devrons reconstruire si, le 29 mai, le non de la France met un coup d'arrêt à l'Europe archaïque devra, lui, répondre aux défis contemporains : plein-emploi, indépendance de l'Europe, cohésions nationales. Seule une Europe souple peut répondre à ces trois défis.
– Le plein-emploi doit devenir l'objectif principal de la Banque centrale européenne. Au pacte de stabilité, il faut substituer un pacte de progrès, d'emploi et d'investissement. Dans cette mission, la Banque centrale doit être soumise au Conseil des ministres de l'Economie des pays de la zone euro et contrôlée par leurs parlements nationaux.
La «concurrence libre et non faussée» n'est pas un remède miracle. La concurrence, qui stimule le progrès en portant sur l'innovation, la technologie, l'esthétique ou même la productivité, est souhaitable. Celle qui conduit à la régression en favorisant le moins-disant fiscal, social et salarial ou en ignorant la protection de l'environnement doit être bannie. Le futur traité doit tenir compte de la diversité de l'économie, et non vouloir tout aligner sur le double dogme de l'infaillibilité et de l'universalité du marché. Ainsi existe-t-il des secteurs où le monopole est naturel : là où il faut des réseaux continus (gaz, ferroviaire, électricité, etc.) ou seulement denses (poste, téléphonie mobile, etc.).
Pour répondre au défi de l'emploi, le futur traité doit bannir le dumping social : il faut arrêter de croire qu'en déshabillant Jean à Paris on va habiller Jan à Varsovie – d'autant que Jan a de sérieux compétiteurs à Shanghaï et à Calcutta. La France et l'Europe doivent protéger leurs modèles sociaux. Il n'est pas question de se barricader dans une forteresse douanière, mais il faut passer des accords de commerce équilibrés, qui permettront le développement des autres peuples, et non l'enrichissement des élites cosmopolites et l'appauvrissement des peuples de toutes les nations.
Mais, surtout, le futur traité devra prévoir la possibilité de politiques industrielles : avant de consommer, il faut produire ! Certes, les services sont indispensables, mais une économie de services est une impossibilité, sauf à être le Liechtenstein ! Il faut donc que les Etats soient libres de mettre en oeuvre, à quelques-uns, des coopérations intergouvernementales renforcées sur le plan industriel. C'est à ce système souple que nous devons déjà Ariane – avec la participation de la Suisse et de la Norvège, qui n'appartiennent pas à l'Union européenne – et Airbus, malgré l'hostilité de la Commission de Bruxelles. Il faudra, dans l'Europe moderne, favoriser l'efficacité d'une telle souplesse : l'avenir est à la géométrie variable, et non aux procédures uniformes et paralysantes.
– Pour répondre aux défis de la paix, des coopérations doivent s'organiser entre les pays d'Europe qui sont prêts à créer un môle de modération face aux Etats-Unis d'Amérique, en synergie avec la Russie. La France, l'Allemagne, la Belgique et, pourquoi pas, l'Espagne de Zapatero pourraient s'accorder sur des projets diplomatiques et de défense. Là est l'avenir d'une voix de l'Europe dans le monde, et pas dans l'artifice d'un ministre des Affaires étrangères européen, porte-drapeau des Etats-Unis d'Amérique !
– Quant aux enjeux de cohésion nationale et de liberté de conscience, face à la montée des intégrismes, des communautarismes et des identitarismes, la France doit pouvoir y faire face grâce à la laïcité qu'elle a conquise depuis 1905. A cet égard, elle est sans doute en avance, par rapport à d'autres pays du monde. Aucun principe juridique, aucune souveraineté supranationale usurpée, ne doit nous priver de cette grande conquête de la République.
Une France libre dans une Europe souple, voilà l'avenir. Les règles européennes doivent être au service des projets choisis par les citoyens et n'entrer en vigueur sur le territoire de la République qu'après avoir été approuvées par eux. Loin d'être synonyme d'isolement, cette souveraineté nationale permet toutes les coopérations. Le projet de Constitution nous ligote dans les procédures rigides d'un grand fantasme uniformisateur. Nous y perdrions notre liberté de mouvement dans un monde qui bouge. L'avenir de l'Europe est dans la souplesse.

 

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